
À la poursuite d’un dangereux faux monnayeur ayant échappé à la peine de mort, le gentil et bienveillant inspecteur Triquet débarque à Barges, la bien nommée. Petite ville d’Auvergne peu accueillante où des habitants aux manies étranges sont terrorisés par une bête mystérieuse qui rode sur la lande. Pas facile de coincer un ivrogne chauve et frileux ayant horreur du cassoulet au pays des cintrés…
Un peu à part dans la filmographie iconoclaste de Jean-Pierre Mocky, La cité de l’indicible peur est, avec Litan : La cité des spectres verts (1982), l’un des derniers exemples d’une longue tradition de films fantastiques poétiques qui a longtemps eu cours dans le cinéma français, de Jean Esptein (La chute de la maison Usher – 1928) à Julien Duvivier (La charrette fantôme – 1939) en passant par Maurice Tourneur (La main du diable – 1943), Jean Cocteau (La Belle et la Bête – 1946) ou René Clair (La beauté du diable – 1950).
Digne héritier du cinéma de Georges Franju (Judex – 1963), pour qui il fut comédien dans La tête contre les murs, Mocky s’impose ici dans un registre où l’atmosphère compte autant que les personnages. C’est en Auvergne, dans la cité moyenâgeuse de Salers, qu’il trouve le lieu idéal pour adapter le roman du belge Jean Ray et développer son goût pour les ambiances étranges, épaulé par la magnifique photographie d’Eugen Schüfftan, chef opérateur allemand ayant participé à l’aventure expressionniste et travaillé, notamment, avec Fritz Lang pour Métropolis.

Devant sa caméra, la brumeuse cité de Barges s’incarne avec ses ruelles sombres et désertes que balaye un vent au souffle inquiétant. Là, le cinéaste peut se laisser aller à son goût pour les situations absurdes et à sa verve satirique, prenant position contre la peine de mort tout en brocardant les magouilles de notables bourrés de tics qu’interprètent, avec délice, les habitués du cinéaste (Jean Poiret, Francis Blanche) mais aussi d’anciennes gloires du cinéma d’avant-guerre. Que ce soit Jean-Louis Barrault, Raymond Rouleau (impayable en maire affable terminant toutes ses phrases par « quoi ? ») ou Victor Francen (excellent en médecin alcoolique pour qui toute mort, même criminelle, est naturelle) tous semblent se régaler de leur partition originale écrite par Raymond Queneau.
Retrouvant Mocky pour la seconde fois après le facétieux Un drôle de paroissien, Bourvil est parfait en inspecteur idéaliste à la démarche sautillante (Houp, houp !). C’est qu’il n’est pas si fou Triquet qui semble avoir servi de modèle au personnage de Columbo, résolvant les affaires presque sans le faire exprès. Coiffé pour l’occasion d’une ridicule perruque blonde ébouriffée, l’acteur trouve avec cet inspecteur plein d’humanité l’un de ses meilleurs rôles.
Hep, hep ! Amateurs de loufoqueries surnaturelles et d’humour noir corrosif, La cité de l’indicible peur devrait vous satisfaire, ne serait-ce que pour contredire ceux qui pensent que le fantastique est l’apanage des films anglo-saxons.
Quoi ?
Je ne pensais pas que le fantastique serait l’apanage des films anglo-saxons, mais je ne connais pas LA CITÉ DE L’INDICIBLE PEUR.
Votre critique donne bien envie de découvrir ce film à la première occasion.
Je vous le recommande, cher Poulain. 😉
« Loufoqueries surnaturelles et humour noir corrosif », je prends !
Avec Bourvil et toute une ribambelle d’acteurs talentueux en prime soutenu par des dialogues et une mise en scène de qualité ! Que demander de plus ?
Vu il y a telllllllement longtemps qu’il me faudrait un nouveau visionnage. Idem pour Litan. Et cette critique donne férocement envie !
J’ai bien envie de le voir 🙂
L’un des meilleurs Mocky, selon moi. 😉