C’est le 4 juillet à Las Vegas. Jour d’indépendance des États-Unis mais surtout date anniversaire pour Franny et Hank qui fêtent les cinq ans de leur rencontre. Pour des broutilles, le couple se dispute et décide de se séparer. Chacun de leur côté, dans l’ambiance électrique et survolté de la capitale du jeu, ils vont faire une rencontre extraordinaire qui pourrait bien changer le cours de leur existence, à moins que…

Un écran noir.
Le son d’une bille de roulette qui fait plusieurs tours de piste avant de terminer sa course sur un numéro qui restera inconnu.
Un projecteur rougeoyant s’allume.
Un rideau bleu électrique s’ouvre sur une pleine lune où s’inscrit le titre en néons rouges.
Plein feu sur un Las Vegas nocturne et ensablé, brillant encore de mille feux, où les traces de pas d’un couple se séparent pour mieux se retrouver alors qu’après un bref accord de piano la voix rocailleuse de Tom Waits s’élève, bientôt épousée par celle cristalline de la bien nommée Crystal Gayle. A la manière des chœurs antiques, ils vont chanter les tourments et les espoirs de l’amour en lieu et place du couple principal interprété par Teri Garr et Frederic Forrest qui incarnent parfaitement ce couple aimant qui déchante, usé par le train-train et les tracas de la vie. En suivant, le temps d’une nuit, leur dispute, leur séparation et leurs errances parallèles à la recherche d’un nouveau coup de cœur qui saura les faire vibrer et ranimer les flammes du désir, Francis Ford Coppola orchestre ses jeux de l’amour et du hasard dans une comédie musicale, entièrement tournée en studio, qui sort des sentiers battus.
Loin de l’opéra guerrier que fut Apocalypse Now, le cinéaste met en musique, ainsi qu’en lumière, un couple dans la banalité de son quotidien avant de transformer leur virée nocturne en une multitude d’instants magiques qu’il sublime graphiquement, en direct, à l’aide d’effets spéciaux à l’ancienne (décors peints ou escamotables, surimpressions…) qu’il mêle à des trucages vidéo (une première en son genre) contrôlés depuis un camion régie extérieur au plateau.

Entre morceaux musicaux flamboyants et compositions jazzy plus feutrées, la nuit se transforme en un rêve éveillé pour Franny et Hank, ainsi que pour le spectateur qui ne peut que s’émerveiller devant tant de virtuosité. Une quête, en parallèle, à la recherche de l’âme sœur que Coppola teinte de bleu ou de rouge au gré des sentiments de ses personnages. Ce sera un serveur play-boy, amateur de danse, pour elle et une timide acrobate de cirque pour lui. L’occasion pour le cinéaste de mettre en scène un somptueux tango tout en ombres et déhanchés ainsi qu’une étonnante rêverie amoureuse bleutée sous une pluie de néons étoilés. L’occasion, surtout, de mettre en avant deux talentueuses actrices. D’un côté, Teri Garr aussi séduisante en femme au foyer qu’en affolante vamp vêtue d’une robe rouge sexy. De l’autre, Nastassja Kinski et sa beauté androgyne que Coppola magnifie en composant pour elle certaines des plus jolies scènes du film, comme ce numéro de funambule en état de grâce dans la casse féerique de Hank. Un fantasme qui, à la lumière du jour, est voué à disparaître « comme un crachat sur un grill », car loin d’être un film désenchanté qui ne ferait qu’enjoliver les conquêtes de passage, Coup de cœur s’interroge aussi sur ce qu’est le véritable amour, une fois débarrassé de tous ses artifices.

Dommage qu’au milieu de cette débauche visuelle, Gene Kelly, consultant sur le plateau, n’ait pas eu les coudées franches pour organiser comme il le souhaitait les danses de rue, Coppola préférant une chorégraphie de foule un peu brouillonne au son d’une musique disco qui a aujourd’hui mal vieilli.
Cette histoire simple conçue comme une super production n’a, à l’époque, pas rencontré son public et ruiné le cinéaste ainsi que ses désirs d’émancipation vis-à-vis des grands studios hollywoodiens. Pourtant, quarante ans après sa réalisation, bercé par le Old boyfriends de Crystal Gayle ou le Broken bicycles de Tom Waits, Coup de cœur demeure une fabuleuse errance mélancolique et sensorielle. Un chef-d’œuvre en apesanteur.

A Yves-Marie, fidèle compagnon de cinéma pendant des années, en souvenir d’une soirée cinématographique vraiment magique.