
Aurore est une jolie veuve pleine d’esprit. Très convoitée, elle se refuse aux avances de ses nombreux soupirants préférant, à l’amour, le réconfort moral de la religion et la présence joyeuse de ses cousines. Raphaël est un séduisant célibataire, noceur et libertin, qui ne croit plus en rien et qui change de femmes comme de chemises, toujours un verre à la main. Pourtant, entre la vertueuse et le débauché, un amour va naître, aussi passionné que désespéré.
Tout juste sortis d’une comédie solaire, L’ours et la poupée, Michel Deville et sa scénariste Nina Companeez reviennent au film en costume qui a fait leur renommé. Mais là où Benjamin ou les mémoires d’un puceau mettait en scène un 18ème siècle badin teinté de mélancolie, Raphaël ou le débauché propose un 19ème siècle au romantisme sombre. Un drame amoureux, digne de Musset, entièrement composé par Nina Companeez et rehaussé de dialogues très fins – certains versifiés, d’autres rythmés comme des alexandrins – s’accordant parfaitement à la mise en scène enlevée du cinéaste. Comme ces mots de Raphaël à Aurore qu’il cherche à séduire : « Depuis que je suis arrivé, votre bouche dit des choses et vos yeux d’autres. Laissez-moi un peu écouter vos yeux. Ne les empêchez pas de me parler. »
Ce à quoi la belle répond : « Sur ce sujet, ils n’ont rien à vous dire. »
De ce portrait de deux êtres que tout sépare et qui ne peuvent se sauver l’un l’autre : « Nous n’avons rien à faire ensemble, le jour et la nuit ne se rencontrent pas », de cet amour impossible entre un libertin suicidaire qui fait « semblant de ne pas être triste » (flirtant chaque soir, d’orgies en lupanars, avec la petite mort) et une femme dont la pureté est brutalement consumée par le désir, Michel Deville tire un film vénéneux où, une fois n’est pas coutume, la séduction laisse place à la passion et où la manipulation semble bien dérisoire face à la force des sentiments. Une passion dévastatrice qu’il résume en un plan magnifique : celui d’une longue étreinte et d’un fougueux baiser qui laissent des traînées de sang sur le cou et la robe immaculée d’Aurore.

Françoise Fabian, belle et lumineuse, se livre à une troublante interprétation d’amoureuse éperdue et trouve avec ce personnage l’un de ses plus grands rôles. Quant à Maurice Ronet, il est parfait en dandy nocturne et autodestructeur qui se refuse au bonheur.
En alternant tableaux champêtres, scènes de bals, visite de bordels et plongée dans les bas-fonds, Michel Deville compose un opéra lyrique désenchanté qu’exalte la musique de Bellini. Un mélodrame funèbre qui marque aussi la fin d’un cycle et clôt, en beauté, la riche collaboration entre le cinéaste et sa scénariste attitrée.
Bonjour, je suis contente de voir enfin un billet sur ce film qui me fait chaque fois chavirer de bonheur. Les dialogue sont sublimes, Fabian est magnifique et Ronet a trouvé un de ses plus beaux rôles. http://dasola.canalblog.com/archives/2021/03/24/38881770.html Bonne après-midi.
Heureux de vous avoir fait plaisir avec ce billet. 😉
Il me tente vraiment ce film 🙂
Oui, il faut tenter. Il n’est pas trop dur à trouver si tu sais où chercher. 😉
Quel poète, ce Marcorèle !
L’élégance du verbe et le rythme de la phrase démontre le plaisir que vous avez à écrire, en même temps qu’ils portent ici encore jusqu’à nos esprits votre belle analyse d’un film savoureux.
vous devriez rédiger des poèmes même si votre belle serait certainement jalouse que vous les partagiez.
Merci
On a trop peu vu Maurice Ronet à l’écran. Il est parti trop tôt.
RAPHAËL OU LE DÉBAUCHÉ nous le rappelle clairement.