
Pierre, un séduisant musicologue, recherche dans tout Paris une mystérieuse femme vêtue de bleu qu’il a fugitivement aperçu dans une boutique. Il est aidé dans sa quête obsessionnelle par son meilleur ami, Edmond, ainsi que par sa propre compagne, la jolie Aurélie.
La femme en bleu tient une place à part dans la filmographie de Michel Deville. Ce treizième film peut même être considéré comme son premier solo suite à la fin d’une fructueuse collaboration scénaristique de dix ans avec Nina Companeez, partie tourner ses propres projets. Seul maître à bord, le metteur en scène décide de compiler les diverses notes qu’il a accumulé au fil des années dans de petits carnets et les lie par un fil conducteur tout simple : un homme cherche une femme. Une idée de départ qui lui est venue après avoir croisé fugitivement le regard d’une inconnue vêtue de bleu dans un magasin parisien. De cet assemblage hétéroclite, il élabore un récit en forme de puzzle amoureux où il se déconstruit pour mieux se reconstruire.
Avec La femme en bleu, Michel Deville se réinvente et développe un cinéma aventureux fait d’expérimentations, de dialogues qui se poursuivent sur plusieurs scènes, de récits enchâssés façon gigogne. Il teste d’étonnantes idées de mise en scène (une bougie se déplace de part et d’autre du visage de Léa Massari donnant le point de vue de Michel Piccoli qui la regarde en clignant d’un œil puis de l’autre) qu’il parsème de gags aussi légers que décalés, à l’image de cet officier de marine qui semble sombrer à l’intérieur d’un ascenseur ou encore de ce marchand qui a installé sa baraque à glaces au milieu d’un grand escalier désert. Le tout porté par des mouvements de caméra qui s’incorporent élégamment à un montage fluide.
Le cinéaste n’oublie pas les thèmes qui jalonnent son œuvre depuis Ce soir ou jamais (l’amour, la séduction, l’érotisme…) et en approfondit d’autres comme celui du jeu. Une notion récurrente dans sa filmographie et particulièrement présente ici en dépit (ou à cause ?) de la gravité de son sujet, puisque le récit commence par un suicide.

Le couple, qu’incarnent Léa Massari et Michel Piccoli, ne cesse de jouer. Ils jouent à être l’autre ou au chat et à la souris (plutôt qu’à L’ours et la poupée), préférant se raconter des histoires plutôt que de s’avouer la fin de leur histoire.
– A quoi on joue, maintenant ? demande Aurélie à Pierre.
– On est forcé de jouer ?
– Oui, Pietro, sinon on serait obligé de tout dire.
C’est sans doute dans ce marivaudage désenchanté, déjà à l’œuvre dans Raphaël ou le débauché, que se trouve le principal changement de tonalité. Dans cette errance d’un homme à la poursuite de la femme de sa vie ou, plutôt, de la femme de sa mort. Un songe éveillé, aussi onirique que poétique, que le cinéaste teinte en permanence de dérision. À l’image de ce générique, dans un décor blanc, où Pierre croise une femme… en rouge. Ou au son d’une truite de Schubert transformée, pour l’occasion, en ritournelle de boîte de nuit.
De Béla Bartóck à Franz Schubert, dont La jeune fille et la mort revient régulièrement hanter nos oreilles, la musique classique a toujours la part belle chez Deville. Elle finit même par recouvrir les incessantes discussions entre Aurélie et Pierre. En musicologue aimant les femmes, Michel Piccoli retrouve, après Benjamin ou les mémoires d’un puceau, le rôle d’un Don Juan, sauf qu’ici le séducteur désabusé est passablement désespéré.
Grâce à son ton très personnel, cette Femme en bleu, en mode mineur, n’en reste pas moins une intrigante fantaisie amoureuse à la noirceur diablement stimulante.
Je suis totalement ignare en filmo de Michel Deville. Voilà bien un réalisateur sur lequel j’ai fait une impasse quasi-complète (je n’ai vu je crois que « l’ours et la poupée » il y a fort longtemps et je n’en garde aucun souvenir).
Pourtant, tout ce que je lis ci-dessus me rend honteux de n’avoir jamais eu cette curiosité. Jamais trop tard comme on dit, et pourquoi pas revenir en Deville par ce film avec la belle Léa Massari (ah, « les choses de la vie »).
PS : un film Génovès , comme cette « femme infidèle » signée Chabrol que j’ai croisée hier.
Un film Génovès ?
Bah oui, il me semble bien avoir vu sur l’affiche ci-dessus son nom comme producteur de ce Deville, non?
Effectivement, mais il est absent de sa fiche Wikipédia… Quel est le fin mot de cette histoire ? Le mystère reste entier. 😉
Quel délice, que cette critique de LA FEMME EN BLEU, par Marcorèle !
Merci Gudule. 🙂
Tu m’as bien donné envie de le voir et j’aime beaucoup Michel Piccoli 🙂
Joli film, en effet. Piccoli est parfait. 😀