Affiche du film Paris qui dort
Albert, gardien de nuit au troisième étage de la tour Eiffel, découvre à son réveil que Paris s’est endormi. Dans les rues désertes, les rares passants qu’il croise sont plongés dans une profonde léthargie et il semble être le seul à avoir échappé à ce curieux phénomène. Jusqu’à ce qu’il croise cinq autres rescapés. Ensemble, ils vont tenter de percer le mystère de cet étrange cas d’assoupissement généralisé.
Premier film de René Clair tourné en 1923, Paris qui dort (qui ne trouvera le chemin des salles qu’en 1925, après la diffusion d’Entr’acte (1924) court-métrage aux accents dadaïstes) met à l’honneur la capitale française, ville chère au cœur du cinéaste et régulièrement mise en valeur dans sa filmographie. Il prouve également que le cinéma de science-fiction n’est pas l’apanage du cinéma anglo-saxon et qu’il avait sa place en France dès les débuts du cinéma, imposant l’image du savant fou à la crinière blanche un an avant celui imaginé par Fritz Lang dans Métropolis.
Un fantastique poétique, libre et inventif qui utilise toutes les ressources du cinéma à sa disposition et ose le mélange des genres (le fantastique côtoie ici la romance, l’action, le burlesque voire le film d’animation) tout en défendant un propos assez peu moral qui voit quelques personnes profiter d’une situation surnaturelle pour mener la belle vie, avant de sombrer dans la dépression et l’ennui.
Le cinéaste évoque même, en filigrane, une possible attirance homosexuelle de l’aviateur pour le gardien de nuit qui n’a d’yeux que pour la seule femme du groupe. Un triangle amoureux débouchant sur une spectaculaire bagarre au sommet de la tour Eiffel que le cinéaste filme comme un personnage à part entière, y multipliant les vues vertigineuses sur un Paris touristique ainsi que sur des lieux aujourd’hui disparu, comme ces plans sur le palais du Trocadéro qui précéda celui de Chaillot.

Vertigineuse escalade de la tour Eiffel par l'aviateur
Fantastiques sont aussi les premières séquences tournées dans un Paris déserté, même si René Clair ne parvient pas toujours à gommer complètement l’activité humaine. Des désagréments qu’il tente habilement de dissimuler à l’aide de furtifs plans fixes ou par des variations sur la vitesse de défilement de son film, subterfuges en adéquation avec son sujet.
Dommage qu’à trop vouloir jouer sur différents thèmes, le cinéaste finisse par se perdre dans un récit qui traîne en longueur et déçoit par sa résolution simpliste. Pas de quoi écorner pour autant le charme intemporel de ce premier film ambitieux que le temps a paré d’une indéniable nostalgie.