1943. Quatre notables font enlever neuf garçons et neuf filles et les enferment dans un palais de la république de Salò afin d’y assouvir leurs désirs les plus pervers.

Devoir faire une critique de Salò, c’est se mettre à dessein dans la merde en essayant de pondre une critique qui ne soit pas trop à chier.
En adaptant le livre du marquis de Sade, Les cent vingt journées de Sodome, qu’il transpose habilement dans le contexte mussolinien de la république de Salò, Pier Paolo Pasolini dénonce le retour au grand jour du fascisme, dans les années 70, en Europe. En prenant prétexte des excès du roman, il fustige autant les atrocités commises par les nazis pendant la seconde guerre mondiale que la toute puissance du capitalisme dont il pressent les dérives. Notamment avec l’avènement de la société de consommation qui transforme les hommes en esclaves consentants qui ne vivent que pour assouvir leurs désirs et leurs pulsions.
Tout comme Marco Ferreri avec sa Grande bouffe en 1973, Pasolini élabore une charge féroce qu’il divise en quatre tableaux, de plus en plus atroces, pour mieux illustrer son propos. Une farce grotesque qui finit par s’enliser dans des excès plus fécaux que féconds quand arrive le fameux troisième tableau ou « cercle de la merde » qui marqua les esprits. Car, derrière la critique, le cinéaste semble se complaire dans l’avilissement de ses personnages et en rajoute dans l’outrance pour mieux choquer le bourgeois – et le cinéphile ? – qu’il prend pour un trou du cul.

Le portrait ridicule qu’il fait de ses quatre notables (le président, le duc, l’évêque et le juge) place clairement Salò ou les 120 journées de Sodome sous le sceau d’une sinistre bouffonnerie qui en oublie, hélas, toute finesse. Les grandiloquents récits érotiques débités pendant le film n’arrangent rien et s’apparentent, quant à eux, à une forme de diarrhée verbale. Seul le dernier cercle – celui du sang – atteint vraiment son but glaçant en mettant frontalement en lumière la folie humaine et son goût pour la domination et la torture de ses semblables. Des atrocités que Pasolini a la bonne idée de filmer au travers de jumelles afin de canaliser leurs débordements visuels et faire pleinement travailler l’imagination de son public.
En dépit de ses relents merdiques et de sa fin trop vite torchée, le cinéaste ayant été assassiné avant d’avoir fini de monter son film, Salò ou les 120 journées de Sodome conserve cette odeur de soufre qui fait que l’on hésite à le visionner. Pourtant les monstruosités qu’il décrit, le spectateur en voit aujourd’hui bien plus dans les médias et s’en délecte carrément dans les films d’horreur. Ce n’est là qu’un des nombreux paradoxes d’une œuvre aussi agaçante que visionnaire.