Antoine, séducteur invétéré et beau parleur, vient de se faire larguer. Un ami, libraire, lui propose de mettre à profit cette rupture pour écrire un texte, à la manière d’un journal intime, où il se vengerait des femmes. Pour donner de la matière à son récit, il devra séduire une inconnue et s’en faire aimer afin de mieux l’abandonner…
Pour son premier film, Christian Vincent fait mouche en abordant le terrain d’un cinéma littéraire où le scénario et surtout les dialogues prennent le pas sur la mise en scène.
Il y a un peu de Choderlos de Laclos dans ces aventures amoureuses, mais aussi de La Maman et la putain de Jean Eustache (1973) pour les dialogues très écrits, ainsi que du Michel Deville dont on retrouve, ici, l’une des thématiques majeures : la manipulation à travers la séduction. Le sujet du personnage qui se fait guider par un mentor pour arriver à ses fins est d’ailleurs très proche de celui du Mouton enragé (1973)
Malheureusement, la mise en scène de Christian Vincent n’a ni la maîtrise, ni la fluidité de ses deux ainés. Le coup de génie de Christian Vincent vient donc surtout d’avoir su s’entourer de trois excellents acteurs pour mettre en valeur les mots qu’il a finement ciselés avec son coscénariste Jean-Pierre Ronssin.
Fabrice Luchini – qui était cantonné aux films de Rohmer ou aux seconds rôles dans de petites comédies comme celles de Patrick Schulmann – explose littéralement avec ce film et révèle aux spectateurs son art du verbe et du récit. Antoine est proche de son tempérament et il trouve avec ce personnage son meilleur rôle. Il suffit de le voir raconter avec délectation le voyage en train de Tristan Bernard pour en être totalement persuadé.
Face à lui, Judith Henry en impose par ses silences et son apparente ingénuité. Nous ne sommes plus au 18ème siècle et Catherine est bien une fille de son temps. D’ailleurs, elle seule est en mesure de faire taire Antoine. Il l’apprend à ses dépends lors d’une des scènes les plus mémorables du film où la jeune femme lui raconte son unique expérience d’entraîneuse dans un bar. Effectivement, face à elle, il « ne peut pas lutter » et choisit donc, enfin, de se taire.
Quant à Maurice Garrel, en Marquise de Merteuil moderne, il donne à son rôle de libraire, instigateur du complot amoureux, une dimension plus pathétique que réellement machiavélique, jouant habilement avec les zones d’ombre que le scénario lui a ménagé. Une part sombre et secrète que possède, d’ailleurs, chacun des personnages mais que le récit n’évoque le plus souvent qu’à demi-mot. Comme un contrepoint nécessaire aux discours incessants des protagonistes.
La Discrète est un film en état de grâce dont la petite musique des mots et les variations sur la Mélodie hongroise D817 de Franz Schubert charment durablement. Chaque visionnage est une nouvelle source de découvertes. Car il en va, bien souvent, des films comme des êtres humains : quand on les regarde pour la première fois, on n’en voit que la moitié…
J’ai grandement apprécié l’article. J’aurais eu une proposition à vous faire mais impossible de vous contacter que ce soit sur Twitter ou sur un formulaire de contact sur votre blog, c’est dommage.
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Très bel article, fort juste. Merci d’exhumer ce joli film. J’en avais beaucoup aimé la délicatesse et le léger désespoir. Je découvre que Schubert planait sur le film et je n’en suis pas étonnée.