Le Conclave vient d’élire le nouveau Pape. Sur le point de prendre ses fonctions et d’être présenté aux fidèles qui attendent sur la place Saint-Pierre, celui-ci se dérobe à sa charge. Pour résoudre cette crise, le Vatican fait appel à un éminent psychanalyste afin de venir en aide au souverain pontife récalcitrant.
C’est sur le ton de la farce que débute le nouveau film de Nanni Moretti. Les cardinaux réunis en conclave y sont présentés comme de vieux gamins dissipés plus proche d’écoliers – avec ses cancres et ses premiers de la classe – que de maîtres à penser. Pourtant, derrière cette gentille satire, à peine anticlérical, ce n’est pas le Vatican qui est particulièrement visé mais plutôt le manque d’engagement et de prises de position des politiques et des puissants. Tout ce petit monde redoutant, au mieux d’assumer les charges qui vont de pair avec leur fonction, au pire que l’on découvre qu’ils n’ont pas les compétences requises pour l’exercer. Impuissants qu’ils sont à appréhender le monde et à prendre la parole, ils n’ont pas d’autres choix que de s’en remettre à leurs « experts » en communication plus à l’aise dans le mensonge que dans le parler vrai.
Les cardinaux, qui délèguent la gestion de la crise à leur porte-parole, n’échappent pas à cette règle.
Et le cardinal Melville n’est pas en reste : son refus de prendre le pontificat relevant plus d’une crise de la parole que d’une crise de foi.
Etre élu Pape : soit ! Mais pour dire quoi ? Et avec quelle légitimité ?
A défaut d’avoir les réponses, au moins a-t-il le courage de se poser des questions semble nous dire Nanni Moretti qui fait prendre à son film un tournant inattendu, la farce se teintant d’une certaine gravité au contact du monde extérieur.
Car, quelle aide peut espérer trouver le cardinal auprès d’une société angoissée par le ronron faussement rassurant des médias et des communicants ? (Au passage, des cardinaux, les soi-disant journalistes en prennent d’ailleurs pour leur grade et l’intervention télévisée d’un spécialiste en question religieuse est l’occasion d’un sidérant mea culpa dont bien des « experts » auto-déclarés devraient prendre de la graine). Une société où même ceux qui vivent de la parole tournent en rond et s’écoutent parler. Le psychanalyste, finement joué par Nanni Moretti, ramène tout à ses problèmes de famille et les acteurs, que croisent également Melville, dissimulent leur mal-être derrière les jolies phrases d’un dramaturge russe qu’ils répètent à l’envie.
Bien sûr, le film n’est pas dénué de quelques longueurs et il peut déconcerter, voir décevoir, à ne jamais vouloir choisir entre le rire et le drame. Mais par son analyse lucide d’un sujet dans l’air du temps, Habemus Papam aurait dû avoir sa place au palmarès du dernier festival de Cannes. Bien plus que l’énorme pensum esthético-mystique de Terrence Malick.
A tout seigneur, tout honneur. Saluons, enfin, la belle prestation de Michel Piccoli dans le rôle du cardinal Melville. Nanni Moretti ne s’y est pas trompé. Qui d’autre que lui pouvait incarner ce Pape en proie aux doutes avec autant d’émotions et illustrer l’adage « Quand on ne sait rien, on se tait » avec autant de panache ?
Fine analyse bravo ! Complètement d’accord avec toi. Il est étonnant de voir à quel point le Pape ne se sent pas à sa place, plus préoccupé d’avoir raté sa vie, qu’à s’inquiéter de ce qu’il pourrait apporter (ou non) à l’Eglise. On est content pour les cathos qu’il ait refusé la charge … Cordialement. Marcozeblog.
Exactement retranscrit ! et de toutes les manières, j’adore ce que fait et produit Nanni Moretti ….
grand film de cette année 2011.
l’argument du pape dépressif est vendeur et bien trouvé, mais au delà de ça je trouve qu’il a mis en scène quelque chose d’universel : un moment de la vie de chacun d’entre nous où s’entrouvre sous nos pieds un puits sans fond.
Le meilleur film de Moretti que j’ai pu voir jusqu’à présent, selon moi.
La critique est très juste, l’analyse plus que la critique, mais une fois n’est pas coutume. En effet, j’ai noté cette phrase : « il peut déconcerter, voir décevoir, à ne jamais vouloir choisir entre le rire et le drame », c’est ce qui donne toute sa force au film et résume mon visionnage de ce long métrage.
J’ai pour ma part remarqué une mise en scène sur mesure, avec un incipit très théâtrale (succession de plans centrés sur une scène rectangulaire sombre entourée de rideaux lourds), suivi d’une plongée dans la réalité psychique des hommes, auquel aucun cardinal n’échappe comme le révèle la farce enlevée entre l’athéisme du psy et cet (im)probable déisme des pontifes. Je confirme l’excellente performance de M. Piccoli.
a+
Bonne continuation à ce blog.