
Au 19ᵉ siècle, un jeune poète se rend à Paris avec le fol espoir de s’y faire connaître. Abandonné par sa protectrice et bientôt sans le sou, il va faire la connaissance d’Étienne Lousteau, jeune journaliste sans scrupule, qui le forme aux techniques et magouilles d’une presse se vendant aux plus offrants. Dégainant ses mots comme d’autres leurs pistolets, le jeune homme va bientôt se faire un nom avec ses critiques acérées signées de Rubempré.
De film en film, le thème du simulacre s’impose comme l’une des préoccupations du cinéma de Xavier Giannoli qui (après un précédent film remarquable : L’apparition) continue ici d’explorer ce sujet. Cette fois au travers de l’imposant roman de Balzac dont il adapte principalement la seconde partie avec une redoutable maestria. Devant sa caméra aux images somptueuses, les personnages imaginés par le romancier prennent vie dans un film foisonnant qui tire la quintessence de son sujet, se débarrassant des longues descriptions pour ne garder que l’essentiel de cette étude des mœurs du 19ᵉ siècle aussi jouissive que cruelle. Parfaitement maîtrisée, la mise en scène de Giannoli est au diapason de cette histoire d’ascension et de chute. Lente et contemplative dans un premier temps, sans doute pour mieux faire ressentir la vie morne de son héros à Angoulême, elle s’emballe et nous happe dès que Lucien de Rubempré se trouve pris dans l’agitation de la vie parisienne. Le tout rythmé par une voix off qui, loin d’être accessoire, ponctue le film à la manière d’un narrateur de roman tout en procurant un plaisant rebondissement final.
Cette Comédie humaine, qui a presque deux cents ans, offre à Xavier Giannoli l’occasion de nous tendre un miroir aussi pertinent que désabusé de notre époque. Une époque où les réseaux sociaux, comme les petits journaux satiriques d’alors, font et défont des réputations. Où la presse est aux mains des puissants et le journalisme en train de devenir un commerce qui « n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. » Quant à la politique : « Un jour ou l’autre, allez savoir, un banquier rentrera au gouvernement. » commente malicieusement la voix off, au milieu d’un festival de bons mots et de répliques acides.
Heureusement, le cinéaste a l’intelligence de ne pas centrer uniquement son intrigue sur l’agitation des salles de presse, où les articles tiennent « pour vrai tout ce qui est probable », ou sur les fastueuses soirées mondaines. Il nous offre également de jolis tableaux sentimentaux. Notamment lorsqu’il aborde l’amour de Lucien de Rubempré pour Madame de Bargeton ou pour sa chère Coralie. La scène où le poète croque avec ses mots, tel un peintre devant son modèle, la jeune actrice est l’un des grands moments d’un film qui est loin d’en être dépourvu.

La qualité de l’interprétation parachève le tout. Face aux jeux impeccables de Cécile de France et de Jeanne Balibar, la composition sensible de Salomé Dewaels émeut. Benjamin Voisin (qui a par moment des faux airs de Robert Pattinson) est en permanence convaincant à rendre les inconstances de Lucien de Rubempré, tandis que Gérard Depardieu donne toute sa verve et son imposante présence à l’éditeur et libraire Dauriat. Saluons aussi, au passage, l’amusante prestation de Jean-François Stévenin dans son dernier rôle au cinéma ainsi que celle, très attachante, de Xavier Dolan. Quant à Vincent Lacoste, c’est peu dire qu’il impressionne dans le rôle du cynique Lousteau. Il confirme, s’il en était besoin, qu’il est l’un des acteurs français les plus doués de sa génération et, à n’en pas douter, une des valeurs les plus sûres de notre cinéma hexagonale.
Vous l’aurez compris, loin de vous désenchanter, Illusions perdues est une véritable réussite dont il serait dommage de se priver.
Tout à fait d’accord avec ton analyse de ce film. Je l’ai trouvé excellent et les acteurs incarnent parfaitement les personnages de Balzac. Moi aussi j’ai spécialement admiré Vincent Lacoste, que je n’avais encore jamais vu jouer.
Merci à toi. Ravi que nous soyons sur la même longueur d’onde. 🙂
Oui, une belle réussite qui adapte cependant partiellement l’un des plus beaux romans du monde. Comme toi, je retiens en particulier la qualité de l’interprétation. J’ai parlé de certaines différences entre livre et film.
Merci pour ton commentaire. Grand film de cette fin d’année et, disons le, de l’année tout court. 😀
Les Illusions perdues sera peut-être (sans doute) le meilleur film qu’il m’aura été donné de voir cette année au cinéma.
L’histoire est bonne et savoureuse, même si Xavier Giannoli la doit évidemment à Honoré de Balzac. Il la respecte et la met en scène en conservant l’esprit qu’avait inventé ou retranscrit l’écrivain, il y a presque deux siècles.
Deux siècles ! Oui, l’action prend vie dans ce monde perturbé et foisonnant de la Restauration, mais rien n’est poussiéreux dans le film ILLUSIONS PERDUES. Quelle performance de réussir à réaliser un film en costume qui ne sente pas la naphtaline ni ne soit sapé par les malheureux anachronismes de langage, de situations, ou de pensée que nous subissons ailleurs (Ai-je cité EIFFEL, cet autre illustration du 19ème également à l’affiche, mais tellement moins réussie à force de vouloir plaire à tout le monde ?). Tout coule, car les personnages sont infiniment crédibles dans leur personnalité, leurs relations subtiles, leurs ambitions, leurs décadences et leurs illusions perdues pour ceux qui en avaient.
A quoi bon refaire ici la liste des qualités des ILLUSIONS PERDUES, qu’a si bien développée Marcorèle ? Ajouter que les arrière-plans sont aussi soignés que les premiers ? Que le film est de qualité tout en pouvant satisfaire tous les publics ? Que les costumes sont somptueux de qualité et de justesse comme les décors et tout le reste ? Que la musique est bien présente et à sa place ? C’est tellement réussi qu’on cherche des défauts discrets pour souligner la qualité de l’ensemble ! Mais on a beau chercher la petite bête, on n’en trouve aucun !
Alors, il ne reste qu’à affirmer sans réserve que ce film obtient 20/20 sur toutes les facettes d’analyse et inviter tout le monde à aller le voir pour profiter de cette œuvre et lui donner le succès qu’elle mérite.
D’ailleurs, nous y retournons ce soir !
Bien content que tu ais apprécié ce film qui sera certainement, pour moi aussi, l’un des meilleurs (si ce n’est le meilleur) films que j’ai pu voir cette année. 😀
Un défaut du film ?
C’est simple : on attend déjà la suite avec une impatience non dissimulée !!
Article remarquable pour un film qui l’est tout autant. Une distribution en or avec une direction d’acteurs parfaitement tenue. Giannoli a trouvé en effet un parfait Rubempré en la personne de Benjamin Voisin (je n’ai pas vu le Pattinson qui soleil lait en lui mais je vérifierai sans faute lors d’un nouveau visionnage). Une belle réussite qui je l’espère sera récompensée.
J’en ai entendu beaucoup de bien de ce film 🙂
Et je te le recommande vivement. 😉