Après avoir brillamment évoqué le quotidien d’un médecin campagne (La maladie de Sachs), Michel Deville aborde avec Un monde presque paisible un sujet peu traité au cinéma : L’immédiat après guerre et le retour à la vie quotidienne des juifs ayant survécu à l’occupation et à la déportation.
Cette chronique douce amère, filmée en quasi huis clos dans un atelier de confection du Sentier, nous décrit avec délicatesse quelques tranches de vie d’un groupe d’hommes et de femmes tout en s’intéressant aux traumatismes de chacun. Certains ont été déportés, d’autres sont parvenus à se cacher, mais tous sont en deuil, que ce soit de leurs proches ou de leur vie passée. Ensemble, ils essayent de se reconstruire et de retrouver un peu de bonheur.
Malgré son sujet, le film n’est pas dénué d’humour et les principaux protagonistes sont les premiers à rire d’un malheur indicible.
Aucun apitoiement non plus dans le regard du cinéaste mais beaucoup de tendresse pour ces hommes et ces femmes qui tentent de se reconstruire par le verbe et les histoires, quelles soient drôles ou non.
Conter, parler… une constante dans les films de Deville où il se trouve toujours quelqu’un pour (se) raconter. Sauf qu’ici, l’exercice est plus difficile car ce sont plusieurs destins qui s’expriment et finissent par se rejoindre dans la même douleur.
Différents points de vue dont la caméra rend parfaitement compte en adoptant le regard de chacun. Ce jeu des regards, Deville n’a pas son pareil pour le mettre en scène. Et, l’air de rien, en quelques plans, tout est dit… et (dé)montré !
On retrouve aussi l’attrait du cinéaste pour la photographie (à plusieurs reprises le temps du récit s’arrête et la vie des personnages prend alors des allures de roman-photo) et les obsessions du réalisateur du Paltoquet sont toujours bien présentes : Une petite culotte blanche entraperçue le temps d’un croisement de jambes.
Le petit jeu érotique qui s’installe, lors d’un repas champêtre, entre Simone, la prostituée, et Léa, la femme du patron de l’atelier, rappelle ceux de Dominique Sanda et de Géraldine Chaplin dans Le voyage en douce.
Quant au commentaire de Maurice/Stanislas Merhar sur les rousses, il semble être une réponse aux questionnements d’Anémone sur le sujet dans Péril en la demeure.
Les comédiens, Simon Abkarion, Zabou Breitman et Denis Podalydès en tête, servent admirablement le tempo musical de Deville et les mots de sa scénariste Rosalinde Deville. Pourtant, on sent le réalisateur un peu moins à son aise que d’habitude.
Presque paisible, lui aussi.
Sans doute un peu trop respectueux du roman de Robert Bober : Quoi de neuf sur la guerre ? (Ou trop concerné ? Le cinéaste et le romancier ont le même âge), Michel Deville ne parvient pas à donner totalement chair à ses personnages et semble, lui aussi, comme anesthésié par cet entre-deux de l’Histoire et des sentiments.
Qu’importe ! Par sa mise en scène élaborée et légère, nul autre que lui n’aurait pu accompagner aussi parfaitement la destinée de ce petit groupe qui, lentement, sort de l’obscurité de l’atelier où il travaille pour la lumière d’un dimanche à la campagne, porteur de promesses et d’avenir.