Début du 20ème siècle.
A l’occasion d’une traversée en paquebot, Romano, un italien d’origine modeste ayant convolé avec une femme fortunée, raconte à un voyageur russe, fraîchement marié, son coup de foudre pour Anna : une jeune femme Russe, mariée elle aussi, qu’il a croisé lors d’une de ses cures.
Fruit de l’alliance de plusieurs textes d’Anton Tchekhov, Les yeux noirs tente le rapprochement d’une certaine sensibilité slave avec la comédie baroque italienne chère à Federico Fellini. Une liaison qui n’a rien d’évidente – comme le prouve cette histoire d’amour contrariée – et dont le cinéaste n’est pas dupe. Ne montre-t-il pas Romano affrontant plusieurs barrières face à ses interlocuteurs russes ? Celle de la langue mais aussi celle de la culture, symbolisée par le verre incassable qu’il est censé leur vendre et qui empêche toute forme de véritable rapprochement.
La première partie du film, située en Italie, pèche donc par excès et cela malgré plusieurs idées de mise en scène vraiment réjouissantes, notamment autour des pensionnaires de la cure. Les dialogues (desservis par un doublage italien plus qu’approximatif) fusent dans tous les sens et les situations manquent le plus souvent de spontanéité. Le jeu exagéré de Marcello Mastroianni, quasiment de tous les plans, n’arrange rien et accentue le côté antipathique de son personnage, faible et menteur. Alors que les rôles féminins – pourtant parfaitement campés par Silvana Mangano, Marthe Keller et surtout Elena Sofonova – se retrouvent relégués en arrière-plan. Un choix étonnant, puisque ces femmes sont le moteur essentiel des actes de Romano, ainsi que de ses souvenirs construits sous forme de retours en arrière successifs.
En abordant le voyage en Russie, le film devient heureusement plus naturel. Avec des plans magnifiques, des personnages moins caricaturaux (le militant écologique) et une verve satirique bienvenue, notamment dans la description de la bureaucratie.
Comme si, en revenant dans sa patrie, Mikhalkov trouvait enfin le bon tempo, propice à l’éclosion de la dimension nostalgique du récit.
Mastroianni, délaissant son numéro de cabotin, fait enfin poindre l’émotion et permet aux Yeux noirs d’aborder, sur fond de musiques Tziganes, les rives tant convoitées de la mélancolie. Des rives noyées dans les brumes de la Russie et de la mémoire avec, en écho lointain, cette berceuse que la mère de Romano chantait quand il était enfant.
La musique comme langage universel, seule capable de raviver les moments de bonheur ou de consoler les tourments intérieurs. C’est peut-être l’une des leçons principales de ce film.
Je n’ose pas écrire de mes mots vulgaires ce que je pense de cette oeuvre si belle et touchante.
Heureux ceux qui n’ont pas encore croisé LES YEUX NOIRS, car il ont la chance de pouvoir le faire pour la première fois.